Ancelotti : l’année de trop ?

Ancelotti : l’année de trop ?
Photo by Tim Roosjen / Unsplash

Bis repetita : le Barça écrase à nouveau le Real Madrid. La gifle que le Barça a infligée voilà trois mois au Real Madrid dans son antre de la Castellana a été validée lors de la récente finale de la Supercoupe d'Espagne. Cette double humiliation ajoutée à des performances en dents de scie tant dans la Liga qu'en Champions League, amène la Maison Blanche à se remettre en question. En particulier au niveau de son recrutement et de son management sportif.

Une finale exemplaire

Les deux équipes nous ont offert un match spectaculaire. Malgré la fatigue liée à ce final four disputé sous la canicule de Riyad entre les deux meilleures formations du championnat et de la coupe d'Espagne ; selon la formule vendue par la Fédération espagnole à l'Arabie Saoudite contre une trentaine de millions d'euros par an pendant trois ans. Au prix d'une fatigue supplémentaire pour des joueurs dont l'UEFA et la FIFA surchargent le calendrier. Une finale exemplaire car l'offensive y a été à l'honneur. Un match de gala pour combler les amateurs de beau football. Où le diagnostic du précédent clásico a été confirmé : la qualité du jeu collectif et l'enthousiasme des jeunes pousses catalanes l'emporte sur la prudente réserve des castillans à nouveau châtiés.

La victoire sourit aux audacieux, réjouissons-nous ! À l'instar de la Roja, le FC Barcelone, lui, ne se pose pas de questions : on attaque ensemble… et on gagne ! On fait vivre le ballon que chacun respecte. Sacrée, la possession s'accompagne du soutien permanent au porteur de balle par plusieurs partenaires ; et d'un pressing sur l'adversaire qui facilite la récupération du ballon perdu. Ce, dans un football en mouvement où on défend en avançant. Car la meilleure défense reste l'attaque. Et la victoire s'obtient en marquant un but de plus que l'adversaire. Merci au Barça de nous rappeler ces fondamentaux dont l'application peut à la fois engendrer les succès et ravir le public.

Ensemble

L'écrasante victoire du FC Barcelone scelle la supériorité du jeu collectif proposé par l'école blaugrana sur l'addition des talents individuels d'une galaxie madrilène qui réunit plusieurs candidats au Ballon d'Or, sans les faire jouer ensemble. Des solistes sans chef d'orchestre. De la magnifique performance des culés réduits à dix pendant une demi-heure, mérite d'être détachée la prestation majuscule de Raphinha. Applaudissons l'éclosion sur les bords de la Méditerranée de cet attaquant brésilien généreux dans l'effort et qui score régulièrement. À Rennes puis au Leeds United de Bielsa, on avait pu apprécier le potentiel de ce joueur résilient dans sa lutte pour oublier la favela de son enfance ; qui, pendant ses deux premières saisons à Barcelone, était le remplaçant d'un Dembélé aussi avare en buts qu'irrésistible dribbleur.

Fond de jeu

Les triomphes spectaculaires du Real Madrid ces dernières années ont souvent relevé d'admirables scenarii dramatiques où les merengue bousculés parvenaient à renverser la table. Ces miracles ont été rendus possibles grâce à la permanence de la qualité de passe de Kroos et de Modric, rampes de lancement idéales pour les fulgurances de Benzema et Vinicius. Ont ainsi été masquées les faiblesses de la Casa Blanca, en particulier l'absence de mise en place d'une véritable organisation collective qui permette aux culés de prendre et garder le jeu à leur compte. La retraite de l'Allemand et la semi-retraite du Croate ajoutées au départ du Français ont précipité la baisse de niveau de la Maison Blanche. Il faut regretter que la classe des Vini, Mbappé, Bellingham, Courtois… ne puisse s'épanouir au sein d'un collectif aussi valorisant que celui des joueurs barcelonais.

Faillite en défense

Malgré leur apparente bonne volonté, lors de la finale de Riyad les arrières du Real Madrid se sont avérés pathétiques : hésitants dans leur positionnement et par moments totalement absents dans les airs, apathiques, ils sont apparus en retard au marquage et distraits par le ballon au point d'en oublier l'adversaire à surveiller. On ne reconnaît plus Rüdiger, caricature de ce formidable guerrier provocateur qui nous a habitués à défier tout rival passant à sa portée, aujourd'hui en proie à de surprenantes sautes de concentration. Tchouaméni, faut-il le répéter, n'est pas un central. À ce poste, il dépanne. Et en milieu défensif, il se cantonne dans un rôle de sentinelle devant la défense, chiche de son aide à la remontée du ballon et rarement en position de tir où, par le passé, il a pu faire valoir une frappe de balle intéressante. C'est trop peu pour ambitionner une place de titulaire à la Maison Blanche qui, à défaut de charisme, requiert la technique et le rayonnement tactique d'un Rodri.

Les latéraux n'ont pas le niveau pour contribuer au soutien offensif de leurs attaquants. Ancien ailier, Lucas Vázquez est inexistant sur l'homme. Pourtant, voilà ce joueur aux airs d'adolescent docile porteur du brassard de capitaine du plus grand club du monde ! Sollicité par les Saoudiens, l'appliqué Ferland Mendy a été conservé car Ancelotti le tient pour un défenseur sûr. Lamine Yamal en promenade face au défenseur français, ne doit pas partager cet avis. Or, Mendy n'a rien d'un piston : son apport sur le flanc gauche de l'attaque madrilène se limite à un fade accompagnement de ses coéquipiers, en évitant la moindre prise de risque dans le un contre un.

Milieu absent

Systématiquement en retard et décalé, Camavinga auteur d'une pénalité absurde, a encore échappé à l'exclusion ; cette fois-ci par sa judicieuse substitution avant de commettre la faute de trop. Dommage que cette fâcheuse inclination aux comportements illicites empêche Cama de faire briller sa rare maîtrise du ballon ! Et lorsque le généreux lévrier Valverde, à la vision voilée et au sens tactique limité perd sa vaillance naturelle, il n'est d'aucun secours dans la construction du jeu. Jude Bellingham demeure le seul demi des merengue dont la technique, la combativité et le sens du jeu sont dignes d'un milieu de terrain du Real, qui se doit d'être conquérant. Bellingham aurait mérité de jouer il y a quelques années aux côtés de Kroos et Modric… La transparence du milieu de terrain merengue, incapable de conserver le cuir et d'élaborer des actions profitables aux attaquants, se traduit par un recours fréquent des arrières aux passes longues imprécises (n'est pas Kroos qui veut !), le plus souvent interceptées et rendant la possession à l'équipe adverse.

Le désert blanc

Hormis une percée à l'aile gauche, le clásico de Vinicius Junior est un fiasco. À l'image de ses dernières sorties depuis les épisodes du Ballon Rond et du Best, Vini s'est entêté à protester contre les adversaires et contester les décisions arbitrales, en oubliant de jouer au foot. Le génial brésilien est devenu une cible facile pour des rivaux décidés à le faire dégoupiller. S'il ne change pas de comportement, Florentino Pérez résistera-t-il longtemps aux sirènes saoudiennes ? Car le président attaché aux valeurs de l'Institution saurait sans doute quel usage faire des 300 millions de pétrodollars proposés pour diriger Vini vers Riyad. Le président Pérez n'aura pas oublié qu'avec les 73,5 millions de son transfert record de Zidane au Real, la Juve s'était constituée la meilleure défense d'Europe en recrutant au Parma Buffon, Cannavaro et Thuram. Un président qui sait que réparti sur plusieurs joueurs, le préjudice causé par les indisponibilités à prévoir est réduit : faut-il rappeler le peu de matchs disputés par Neymar au PSG et Eden Hazard au Real respectivement pour 222 et 115 millions d'euros ? Quant à Rodrygo, il a sauvé sa pauvre prestation de la Supercoupe d'Espagne en convertissant un joli tir libre.

La seule satisfaction de ce match désastreux pour les merengue vient d'un Mbappé enfin retrouvé. Auteur d'un très bon match, buteur inspiré et volontaire, il a obtenu l'expulsion du gardien adverse et par ses initiatives et accélérations, il a tenté de réveiller ses coéquipiers résignés. Une fois n'est pas coutume, c'est Kylian qui a prêché dans le désert blanc. Souhaitons que le petit Prince de Bondy confirme ses nouvelles belles dispositions, qui pourraient faire de lui un jour le roi de Madrid.

Carletto et Florentino

C'est au printemps que les longues saisons de foot livrent leur verdict. Après leur lot de rebondissements. Et l'histoire du Real Madrid comme celle d'Ancelotti ne manquent pas de renversements de situations. Aussi les commentaires de janvier n'engagent-ils que leurs auteurs. Toutefois, on peut d'ores et déjà prévoir dans la politique de la Maison Blanche des retentissements aux deux claques reçues du Barça. Dans ce Real orphelin de Kroos, privé de leader charismatique et où les résultats décevants ne compensent plus la faiblesse du collectif, Carlo Ancelotti, coach estimé de Florentino Pérez et populaire pour sa sagesse, prête maintenant le flanc à la critique de socios et de médias particulièrement exigeants : le « Mister » donne le sentiment de tolérer le rendement insuffisant de certains joueurs et les lacunes d'autres. Il rechigne à donner leur chance aux jeunes remplaçants de talent quand les titulaires ne sont pas performants, alors que le calendrier surchargé invite à la rotation des acteurs. Autant de reproches qui nourrissent l'amertume de la double humiliation en un trimestre subie de l'ennemi juré de Catalogne.

Certes, le respect reste de mise face à l'incomparable carrière d'Ancelotti ; le joueur métronome précieux de la Roma, du Milan et de la squadra azzurra, l'entraîneur bon papa qui compte parmi les coachs les plus titrés de l'histoire du football, l'homme respecté des joueurs, dirigeants et supporters des équipes qui ont bénéficié de ses compétences. Et à Madrid, ce gentleman n'est-il pas surnommé affectueusement Carletto ? Mais à l'heure où nous écrivons ces lignes, il est douloureux de constater que son management technique n'apparaît plus adapté à l'effectif hétérogène du Real Madrid, avec pas moins de cinq prétendants au Ballon d'Or et quelques joueurs au talent trop limité ; une telle disparité en l'absence de patron sur le rectangle vert et aussi, semble-t-il malheureusement, en dehors ; et puis surtout, sans vrai jeu collectif affirmé, garant d'une stratégie offensive courageuse : le grand reproche adressé à Didier Deschamps.

De l'audace !

Le leadership du Real Madrid en Liga doit reposer sur sa supériorité, sans dépendre des faux pas de ses concurrents directs du Barça, de l'Atlético, de Bilbao... Et en Champions League, le Real doit se qualifier dès le tour de poules préliminaires, sans avoir recours à barrages ou repêchages. Afin de répondre aux attentes de tout le peuple blanc, il convient ainsi de résoudre une équation à plusieurs inconnues, à la portée de l'ingénieur Florentino Pérez. Un nouveau souffle à la direction technique du club serait bienvenu. Pas simplement un visage et un message plus ambitieux et plus dynamiques, mais un style de jeu offensif, plus conquérant, dans l'esprit du père fondateur Don Santiago Bernabéu.

Florentino serait bien inspiré de rapatrier sans tarder Rodri, au secours d'un milieu de terrain cruellement défaillant. Et de recruter deux latéraux à la fois défenseurs et pistons. Tandis qu'au Bayern semblerait acquis le renouvellement du contrat d'Alphonso Davies ; et que le convoité Trent Alexander-Arnold, s'il peut être considéré comme le meilleur arrière droit offensif de la planète, est loin sur le plan défensif de représenter une assurance tous risques. Dans un marché du foot en cours de vampirisation par les états du Moyen-Orient, l'audace est de rigueur. Faisons confiance en Florentino Pérez… Et espérons qu'il évitera le piège d'une seconde galacticomanie ! En ayant le courage de confier la direction technique à Xabi Alonso (avec Florian Wirtz dans ses valises ?) dès fin juin, si possible. Sachant que le transfert de Vinicius ne doit pas être un tabou s'il permet de financer les recrutements nécessaires pour consolider la formation actuelle en la rééquilibrant. Et qu'éventuellement, Zidane pourrait au besoin assurer une pige sur le banc des merengue, en attendant que Deschamps ne quitte le club France et que Xabi Alonso n'anticipe son retour à la Maison. ¡Pues amigos, en la Casa Blanca hay mucha carne en el asador!

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