Quand trop de foot tue le foot

Quand trop de foot tue le foot

Les barrages de la Champions League ont livré leur verdict. Avec une sensation : l'élimination de Manchester City, vainqueur de l'édition 2023 et de 6 des 7 derniers championnats d'une Premier League compétitive. Le Real Madrid, champion d'Espagne et d'Europe, triomphateur à 15 reprises de l'épreuve reine du continent, a mis à bas la défense haute des Mancuniens. Les deux équipes, surtout City, qui connaissent un exercice 2024-2025 plus difficile que prévu, invoquent le mauvais sort et certaines décisions arbitrales. Les dirigeants des deux formations doivent toutefois reconnaître que leurs managements ne sont pas exempts de reproches. Quoi qu'il en soit, pour une qualification aux 8es de finale, quel dommage d'opposer si tôt dans la compétition et en élimination directe, ces deux équipes phares de la planète foot !

Des erreurs

L'usure du pouvoir et le vieillissement de la formation dominante au Royaume-Uni depuis près d'une décennie, n'ont pas été anticipés. Faute de renouvellement de l'effectif des Cityzens, leur milieu de terrain longtemps conquérant accuse une baisse de rendement drastique. Liée à l'indisponibilité prolongée de leur métronome blessé, le ballon d'Or Rodri ; et au déclin de deux ex futurs ballons d'Or, De Bruyne le chevronné et la révélation Foden ; concomitants de la méforme persistante de Bernardo Silva. Auxquels s'ajoutent les errements des défenseurs qui alternent hésitations et bévues, à l'image des prestations en dents de scie du gardien Emerson. Le tout avec leur prolifique buteur, Haaland, moins inspiré. La faillite de ces joueurs cadres a engendré une déliquescence du système de jeu qui assurait aux Sky Blues la maîtrise du ballon et gratifiait le spectateur d'un football offensif attractif. Mais comment ce club, propriété du richissime Vice-président des Émirats arabes unis et doté d'une direction technique compétente, a-t-il pu perdre des attaquants aussi valeureux que l'Argentin Julián Alvarez et le grand espoir anglais Palmer, qui font respectivement les beaux jours de l'Atlético et de Chelsea ? Et on peine à comprendre pourquoi dans ces deux rencontres d'un barrage capital, les Cityzens ont maintenu leur positionnement haut sur le pré, face au mur blanc du plus grand club du monde qui dispose d'attaquants spécialement véloces et habiles, invitant leurs rivaux à la prudence tactique. Présomption ou surprenante attitude renonciatrice de Pep Guardiola qui, à l'approche du match retour, donnait à son équipe seulement « 1 % de chances de se qualifier » ? Le coach catalan a fait appel à ses remplaçants tardivement dans la seconde manche du barrage. Il a très peu utilisé Doku, funambule dont les accélérations auraient pu poser des problèmes à Valverde, coureur peu rompu à défendre sur l'homme, improvisé arrière droit par défaut. Sa bonne prestation aura été facilitée par la faiblesse de l'opposition. À l'ancien Rennais, Guardiola a préféré Grealish, faux ailier aux rares débordements, chouchou des minettes anglaises recruté pour plus d'une centaine de millions d'euros et auteur d'une seule saison satisfaisante sur les quatre passées à City ! L'entraîneur espagnol qui vient de prolonger son contrat avec Man City, compte sur la relance de la politique du carnet de chèques si chère (!) aux autocrates moyen-orientaux, pour redresser la barre d'un navire qui, jusqu'à présent, semblait insubmersible. Avant de revoir la vie en rose, il lui faudra retrouver le jeu collectif qui, voilà peu, faisait la force des Bleus ciel, suscitant respect et crainte de leurs adversaires.

Une anomalie

La version anglaise du tiki-taka espagnol de Manchester City manque déjà à la Ligue des Champions 2025. Cette absence des Sky Blues est une anomalie, rendue possible par le nouveau format de la majeure compétition européenne, concocté par l'UEFA avide d'accroître ses confortables revenus. En élargissant l'accès à la Champions League, l'UEFA offre à des formations plus modestes l'opportunité de se frotter aux cadors du continent : de belles pages à écrire dans l'histoire de clubs comme Lille et Bruges. Une source de fierté partagée, tant pour leurs joueurs que pour leurs dirigeants, supporters, sponsors, responsables politiques et leur public ; soudain tous acteurs d'un rêve éveillé, en communion avec leur équipe de cœur, nouveau David à l'assaut de Goliath. Rien d'étonnant si l'UEFA a recueilli un consensus de l'Europe du foot pour condamner le projet de Super League, qualifiée d'« élitiste », dans le sens péjoratif d'un noble terme galvaudé en ces temps de populisme décomplexé — un populisme souvent, ironie du sort, orchestré par les mêmes milliardaires qui prétendent défendre les intérêts du plus grand nombre.

L'anti-football

L'absence des deux principaux clubs du football continental est préjudiciable à la qualité du spectacle et à l'intérêt sportif du tournoi. Avec des tours préliminaires et/ou poules éliminatoires élargies, l'UEFA rajoute des rencontres à des calendriers déjà surchargés. Au profit d'équipes n'appartenant pas au gotha du ballon rond, dont les joueurs disputent une cinquantaine de matchs à l'année ; et au désavantage de leurs homologues des grands clubs qui peuvent se retrouver sur la brèche soixante-dix jours par an. C'est contraire à l'éthique sportive. Et au détriment de la beauté du jeu comme de la santé des joueurs. Car le principal facteur déclenchant des trous d'air comme celui dont pâtit actuellement Manchester City, reste la fatigue accumulée par nos meilleurs footballeurs, sollicités à longueur d'année en vue de l'accession aux exigeantes phases finales des compétitions de leurs clubs et sélections nationales. La baisse d'énergie de ces joueurs engendrée par leur manque de récupération les fragilise et fait le lit de leurs prestations inférieures aux attentes, de leurs blessures à répétition et de lésions graves. Au point que depuis un an et demi, le Real Madrid a joué en permanence avec trois remplaçants sur ses quatre défenseurs de champ et a dû parfois aligner une défense sans le moindre titulaire parmi les cinq joueurs de son arrière-garde ! Ce n'est pas ainsi qu'est favorisé le beau football. L'excès de compétitions fait planer une menace sur le ballon rond. Afin de préserver l'attrait du sport le plus populaire de la planète et l'intégrité de ses joueurs, évitons le surmenage des footballeurs : trop de foot tue le (beau) foot. L'UEFA doit renoncer à mettre sur pied prématurément de tels matchs éliminatoires ; et à faire main basse sur les excès de l'anti-football d'un professionnalisme sauvage qui gangrène insidieusement le milieu sportif en général, au travers d'épisodes de scandales financiers, de corruption et de dopage. Il convient de mettre les plus doués de nos footballeurs dans les conditions de cultiver leurs talents, leur créativité, leur art ; et pour nos prodiges, d'exprimer leur génie. Le ballon rond a conquis ses titres de noblesse grâce aux exploits de nos grands joueurs, des artistes. Combien de vocations sportives sont nées chez des gamins éblouis par les dribbles irrésistibles de Garrincha ou de Messi, les gestes et actions inventés par Pelé ou Ronaldinho ! Confrontés à l'inflation des compétitions sur la planète foot, ne soyons pas dupes de la démagogie qui masque la cupidité des instances du football et de certains de ses représentants. Jusqu'à quand, amis de Tiro Libre, ces gens pourront-ils renforcer leur pouvoir et leurs revenus aux dépens de la santé des joueurs et de notre fascination pour le joco bonito ?

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