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Fautes d'arbitrage

Fautes d'arbitrage
Photo by Homer Lopez / Unsplash

L'exemple du rugby

Pour veiller au bon respect des règles du jeu, les arbitres disposent des cartons jaunes et rouges, des sanctions qui se veulent plus éducatives et préventives que punitives. Dans leur utilisation, la tolérance excessive des hommes en noir du football s'oppose à la fermeté de leurs homologues d'autres sports collectifs, en particulier du rugby, "jeu de voyous pratiqué par des gentlemen". L'arbitre explique systématiquement les motivations de ses décisions : directement au capitaine de l'équipe du joueur sanctionné, puis en présence des deux partenaires. En ovalie, tout manquement caractérisé à l'esprit du jeu déclenche le carton jaune, synonyme d'exclusion du rectangle vert durant dix minutes ; une suspension qui permet au fautif de modérer ses ardeurs et de retrouver son (bon) esprit.

L'avertissement nuit à son équipe soudainement en infériorité numérique et prévient le joueur averti que toute récidive (à fortiori toute faute faisant risquer une atteinte à l'intégrité physique des rugbymen) entraînera un carton rouge : la disqualification définitive du jeu. La menace que laissent planer les suspensions provisoires est appliquée notamment en handball, en basket, en hockey... Malheureusement, sur les pelouses du ballon rond, les arbitres sont réticents à avertir les footballeurs, par peur d'être contraints d'expulser le fautif en cas de récidive ! Cette crainte de l'utilisation du rouge prive le sport le plus populaire du monde de l'effet dissuasif du jaune. Ainsi, on assiste à une déplorable généralisation de l'anti-jeu, des comportements illicites et des gestes dangereux, rarement involontaires.

Désormais, les coups de pied de coin donnent lieu à un spectacle lamentable : en toute impunité, agglutinés par couples dans la surface de réparation, les joueurs se retiennent, se repoussent, se ceinturent... Les responsables d'actes grossiers d'anti-jeu ou de brutalité écopent en général d'un coup franc direct – un tiro libre, disent les Argentins. L'arbitre brandit le carton jaune seulement au joueur qui a commis auparavant plusieurs fautes caractérisées. Cette permissivité n'invite pas les footballeurs au fair-play. Elle contribue à banaliser le mauvais esprit et la violence délibérée. Pourquoi un défenseur ne stopperait-il pas en pleine action un adversaire dangereux, en le retenant par le maillot ou en l'abattant, sachant qu'il sera sanctionné d'un seul coup franc ? Au point qu'en cours de match, les entraîneurs n'hésitent pas : on met fin au marquage d'un adversaire redouté, assuré par un footballeur maintenant puni du jaune, et on confie la neutralisation de ce rival périlleux, basse besogne oblige, à un coéquipier non menacé de rouge. L'arbitrage en vient à ne pas sanctionner la faute pour ne pas sanctionner le footballeur : cherchez l'erreur. "Laissons la peur du rouge aux bêtes à cornes", pouvait-on lire sur une de ces fameuses affiches réalisées par les étudiants des Beaux-Arts en mai 68...

Sport éducationnel

Dans les écoles de rugby, sur le modèle des autres sports de combat comme le judo, sont enseignées les "valeurs" qui régissent le monde du ballon ovale. En premier, le respect : de l'adversaire, des supporters, des dirigeants, et surtout de l'arbitre. Les rugbymen sont habitués à la rigueur et à la sévérité de l'homme en noir face aux infractions et fautes, au jeu déloyal. Si un joueur autre que le capitaine d'équipe parle à l'arbitre en cours de match, il se fait réprimander. Et si un joueur a des mots avec l'homme en noir, il est immédiatement expulsé du terrain. En cas de contestation d'une pénalité, l'arbitre peut avancer de 10 mètres l'endroit de la pénalité : dans un sport où chaque mètre de terrain se défend chèrement, voilà de quoi échauder.

La solitude de l'homme en noir

Au foot, les décisions sont prises par le seul arbitre central. Consultés pour les décisions importantes, rarement les deux arbitres de touche ou l'arbitre vidéo prennent l'initiative de signaler des faits de jeu à cet arbitre principal. Ils interviennent essentiellement sur sa demande. Les erreurs sont fréquentes chez un arbitre auquel est confiée la direction du jeu pendant au moins 90 minutes, et qui, pour bien remplir sa mission, devrait être en permanence au plus proche de l'action. Et à sa décharge, il doit opérer sur un terrain de 100 mètres sur 50 ! De quoi envier les confrères du basket qui opèrent sur un terrain de 28 mètres sur 15, avec deux arbitres opérationnels (un sur la ligne de fond, un derrière le jeu), en inversant systématiquement leurs rôles selon l'endroit où se trouve le ballon.

Justifiées ou non, les décisions arbitrales suscitent régulièrement la véhémence des contestations et protestations des footballeurs sanctionnés, de leurs coéquipiers, des dirigeants, sans parler de la bronca du public. On est loin du comportement déférent et obéissant des rugbymen des deux camps qui, au coup de sifflet final d'une rencontre "correcte mais virile", fraternisent et saluent l'arbitre respectueusement. Renonçant à sévir pour faire appliquer le règlement, les arbitres du foot ne remplissent pas leur mission pédagogique, par faiblesse et par peur d'affronter le mécontentement et la colère des acteurs du théâtre du football. Ce type d'arbitrage encourage les mauvais comportements. À croire qu'au foot, amis de Tiro Libre, on joue au pied... et on marche sur la tête !

Complicités médiatiques

Il faut regretter la complaisance et le cynisme de certains représentants des médias qui, dans le monde du ballon rond, justifient les agressions volontaires quotidiennes. Ces journalistes sont complices de la dégradation du spectacle offert dans les stades de foot. Ne parlent-ils pas de "fautes intelligentes", ou commises "en dehors de la surface de réparation", ou bien "pas par derrière" l'agressé ? Ils en arrivent même parfois jusqu'à invoquer la mano de Dios, inspiratrice de Maradona !

Instances coupables

Dans le football hypermédiatisé, les arbitres devraient jouir de la considération et du respect de tous les acteurs du spectacle, sur le terrain et en dehors, en bénéficiant d'une véritable formation permanente de qualité, avec un statut plus valorisant et une rémunération plus conforme à leurs responsabilités. Comment attendre de jeunes joueurs (multi) millionnaires le respect dû aux hommes en noir "payés au lance-pierre" ? La World Rugby optimise régulièrement les règles du ballon ovale avec la volonté de favoriser le bon développement du jeu, l'offensive, le fair-play, la qualité du spectacle et la sécurité des joueurs. Tandis que parmi les instances du football, l'immobilisme et le "pas de vague" sont de règle, des bords du Léman à Zurich, où sont confortablement installés les dignitaires de l'UEFA et de la FIFA. Dans cette Suisse "au-delà de tout soupçon", entre deux distributions de breloques au son de "We Are the Champions", les autorités du foot se consacrent à la gestion des opulentes trésoreries de leurs institutions, en multipliant les juteuses grandes compétitions internationales, au mépris de la santé des joueurs et de la qualité du spectacle. Mais ils n'imposent pas aux arbitres l'application des règles du football. Les fédérations tolèrent que les équipes les plus modestes compensent leur infériorité technique par un excès d'engagement physique aux dépens de l'esprit du jeu. En évitant de fâcher les représentants des pays membres, potentiels soutiens pour la prochaine élection des dirigeants des instances, dont la permissivité conduit les arbitres à éviter le mécontentement et les critiques. Et n'attendons pas des fédérations nationales la réduction du mauvais esprit, de l'anti-jeu et l'éradication de la violence dans un sport qui peut être un art et doit être une fête. La tolérance excessive de l'arbitrage, favorisée par le laxisme institutionnel, entretient un mauvais climat qui gangrène le football d'un esprit antisportif et qui nuit au spectacle. "Est-ce que ces gens sont sérieux ?", pourrait dire Cabrel.