Florentino Pérez

Le hasard n'existe pas
En 2000, lorsque Florentino Pérez est élu à la tête du Real Madrid, pour les socios está claro : un tournant est pris au sein de la Maison Blanche. « Madridista de toda la vida », l'ingénieur est un magnat du BTP espagnol qui a hissé son groupe, ACS, au premier rang des constructeurs européens, tout en menant une longue carrière politique. L'homme d'affaires clairvoyant et ambitieux est un négociateur habile, à la fois prudent et particulièrement audacieux. On accorde au patron une rare intelligence des situations et des hommes. Son élection ne doit rien au hasard : il a promis aux socios, s'il est élu, de rétablir l'état des finances d'un Real mal en point… et de recruter Luis Figo, la star du Barça ! La capture du ballon d'or portugais est vécue par les culés comme un affront réveillant le spectre de Di Stefano dérouté par Santiago Bernabéu. Il n'en faut pas plus pour réactiver la paranoïa catalane.
La force de l'exemple
Le PDG bâtisseur est le premier de cordée d'une équipe de dirigeants représentative de la fine fleur du monde politique, financier, industriel, administratif, commercial, médiatique et artistique d'Espagne. De quoi faciliter l'accomplissement de la mission du nouveau président : ramener son club de cœur au firmament du football mondial. Ressusciter l'âge d'or du Real Madrid de son mentor Santiago Bernabéu, où l'accumulation de trophées sportifs allait de pair avec une bonne santé financière, une notoriété et un standing enviés de toutes les institutions du football. L'objectif du nouveau président est l'excellence en toute chose, par l'application et le perfectionnement des recettes de Don Bernabéu. En surfant sur la vague d'une Espagne en plein essor, boostée par l'Union Européenne. Le monde doit savoir que le Real affirme son amour pour les compétitions internationales et son universalité, dont les valeurs sont plus que jamais à l'ordre du jour. C'est ainsi que le clivant Mourinho, fameux special one dont nul ne conteste la compétence, ne fait pas long feu dans la Casa Blanca. Le président Perez dope la billetterie en chargeant ACS de travaux d'ampliation du stade Bernabéu. Dans le même temps, il développe le merchandising internationalisé en prenant modèle sur Manchester United. Le prestigieux club anglais, leader en marketing, est bientôt dépassé par le Real. Florentino Perez instaure la gestion et l'encaissement par le club des droits financiers liés aux contrats publicitaires des joueurs, auxquels est reversée une partie des montants correspondants. Et il renégocie à la hausse la manne des droits télévisés.
Faiseur de rêves
De 2000 à 2006, le président est le chantre de la stratégie des « Zidanes et des Pavones » : une grande vedette internationale est recrutée chaque année, l'équipe étant complétée par des joueurs de la machina, le centre de formation du club. En 2001, suite à une longue et délicate opération diplomatique et financière impliquant le sponsor Adidas, l'ingénieur président conclut victorieusement pour 73,5 millions d'euros le transfert alors le plus cher de l'histoire : il arrache à la Juve le ballon d'or Zidane, icône mondiale. Ce succès entérine, aux quatre coins du monde, le statut de winner que le président partage avec « Zizou », son nouveau protégé. Dans cet esprit, afin d'accélérer l'adaptation de Zidane, Florentino Perez charge Di Stefano, l'idole des madridistas, président d'honneur de l'Institution, de plaider auprès des joueurs, des supporters et des médias l'intronisation du nouveau numéro 5 comme meneur de jeu de l'équipe. Désormais, à Madrid, affectueusement et non sans respect, on appelle le président de la Maison Blanche « Florentino ». L'ingénieur offre au monde le spectacle du glamour des roulettes de Zinédine Zidane et bientôt des balles brossées de David Beckham, star planétaire du ballon rond, des défilés de mode et des magazines people ; la tête de gondole d'une brochette de ballons d'or ; le beau gosse idolâtré par les minettes des cinq continents. C'est l'ère des galacticos du coach Vicente Del Bosque, une formation constellée de vedettes qui, dans le monde entier, font rêver les amoureux du beau jeu. Grâce à la réunion sous le maillot immaculé de joueurs parmi les plus brillants de la planète foot, des Brésiliens Ronaldo Nazario el fenomeno, Roberto Carlos, Kaka, à Michael Owen l'Anglais bien nommé et au défenseur italien Cannavaro… De quoi renforcer l'attractivité du onze local dont le leader, le buteur Raoul González, doit accepter son changement de statut dans l'ombre de superstars internationales honorées du ballon d'or dont lui estime avoir été injustement privé.
Revers de médaille
Les résultats sportifs ne sont pas à la hauteur des attentes, compte tenu du talent des galactiques. Ils alternent de brillantes prestations et des revers liés au manque de complémentarité entre les vedettes d'une formation déséquilibrée. D'autant que le départ de Claude Makélélé, sous-estimé par Florentino Pérez pour son manque de glamour, prive l'équipe de sa précieuse sentinelle en bleu de chauffe qui colmatait les brèches laissées par ses prestigieux compagnons de l'entrejeu. Faute du soutien de milieux de terrain peu enclins à l'effort nécessaire pour assurer un premier rideau défensif, les défenseurs merengue, plus volontiers portés aux projections offensives qu'à l'effort ingrat de récupération du ballon dans les pieds des adversaires, sont désormais livrés à eux-mêmes. C'est le revers de la médaille bling-bling. Mais pour Florentino, qu'importe, puisque la marque « Real Madrid » est au zénith ! Elle attire de juteux contrats, surtout publicitaires ; et accroît considérablement les droits télé d'un Real toujours plus universel. Une marque qui, en outre, suscite de précieuses vocations pour de potentiels recrutements. En 2006, Florentino Perez renonce pourtant à la présidence de la Maison Blanche « afin de pouvoir se consacrer à la présidence d'ACS ». Impératif de business ou sagesse politique ? Toujours est-il qu'en 2009, on le retrouve à la tête de la Maison Blanche. Motivé comme jamais.
Big deal
Grâce à son entregent, Florentino Pérez vend au prix fort à la municipalité de Madrid dont il a été longtemps conseiller, les terrains de la cité du club située au sommet du Paseo de la Castellana, l'artère principale de la capitale : plusieurs centaines de millions d'euros embellissent les caisses du Real : ¡vaya negocio! Florentino s'empresse d'investir cette aubaine financière dans le recrutement de grands joueurs autour du Portugais Cristiano Ronaldo, impitoyable « machine à scorer », seul antidote possible à Léo Messi, l'as d'un euphorique Barça devenu dangereusement souverain aux yeux des Castillans. De l'impressionnant palmarès de Cristiano, se détachent 5 coupes d'Europe, 1 Ligue des Nations, 1 Euro… À ACS est confiée la construction de la nouvelle Cité du Real Madrid, le plus grand complexe sportif au monde pour un club de foot, à deux encablures de l'aéroport de Madrid. La Cité du Real est inaugurée en 2005. Sur des terrains acquis au meilleur coût. Cette cité portera bientôt le nom du président Florentino Perez.
Tandem gagnant
En 2002, le retentissement international du but d'anthologie de Zinédine Zidane offrant au Real une neuvième coupe d'Europe, scelle le statut de Zizou, légende de la Maison Blanche. Dès lors, l'apologie de l'auteur d'un tel exploit profite aussi à son protecteur. Florentino facilite la formation du Français dans le giron de la famille blanche, comme coach de La Castilla, puis à l'école de Carlo Ancelotti, comme entraîneur-adjoint la saison 2013-2014. À la mort de Di Stefano en juillet 2014, Zidane remplace le prestigieux maître hispano-argentin dans le cœur des socios. Pour Florentino, la convergence d'intérêts du protégé et de son protecteur rend leur duo incontournable. À l'envi, le président répète que le succès majeur de sa vie de madridista, c'est « le recrutement de Zizou ». Quant à Zidane, il ne manque pas une occasion de rappeler qu'il doit tout au Real et à son « grand président ». En 2016, Zinédine Zidane est nommé sans surprise sur le banc (aussi exigeant qu'envié) de la Casa Blanca. Il engrange aussitôt les triomphes facilités par son statut d'icône et sa proximité aux joueurs. Il est le seul coach à avoir gagné la coupe aux grandes oreilles trois années consécutives ! Malgré son retrait, Zizou fait toujours partie de la famille. Et quizás... ¿quién sabe?
Des ballons d'or aux pépites
À l'image des Vinicius Junior, Rodrigo, Bellingham, Valverde, Camavinga, Tchouameni, Arda Güler, Brahim Díaz et autres Endrick, l'élite des jeunes pousses ayant soif de gloire et de triomphes, courtisée par les majeurs écuries européennes, donne à présent la préférence au Real Madrid : « le plus grand club du monde », qui offre sa chance aux ambitieux. Pour les postulants à l'honneur suprême du ballon d'or, le Real est le club idéal : il a permis aux Cristiano Ronaldo, Luka Modric, Karim Benzema de bénéficier, dans leur conquête du Graal, de la constance des performances du Real, de sa notoriété et de son impact médiatique. La stratégie du président Perez a évolué : l'ère des pépites succède aujourd'hui aux ballons d'or de l'ère des « Zidanes et des Pavones ». Florentino a créé des antennes du club qui font flotter haut le pavillon merengue dans des pays viviers de jeunes joueurs talentueux, en particulier au Brésil et en Argentine. Ces unités repèrent les plus prometteurs, les accompagnent, les aident financièrement ainsi que leurs familles et préparent leur future intégration au sein des structures d'accueil et de formation de la Maison Blanche. Des investissements hautement rentables, ces potentiels joueurs de classe représentant l'avenir du club. Ceux qui ne réussiront pas à s'imposer dans la Casa Blanca y resteront des années où leur valeur marchande sera rehaussée. Ils seront prêtés à d'autres entités en attente de leur maturation professionnelle et personnelle ; ou bien seront cédés à un prix généralement supérieur à leur coût. Là encore, Florentino fait école puisque le choix stratégique de recruter préférentiellement des jeunes d'avenir est maintenant repris par presque tous les grands clubs. À ce jour, malgré une concurrence nombreuse et féroce, seul le Real réussit à engager plusieurs de ces pépites en même temps. Mais pour combien de temps ? Les spectacles qui devaient générer 400 millions d'euros de revenus additionnels sont désormais interdits en raison des nuisances sonores au cœur de la ville. De surcroit, la surenchère financière entamée par Wall street et les autocraties du moyen-orient s'intensifie, encouragée par des instances de foot cupides.