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Intermittents du spectacle

Le calendrier du football européen est surchargé de compétitions. Avec leur corollaire : des blessures à répétition. En particulier les graves ruptures des ligaments croisés des genoux. La hiérarchie des clubs se trouve ainsi remise en question. À l’image de la fessée infligée par le Barça au Real en son antre du Bernabéu et des débuts laborieux de l’Atlético de Madrid. Manchester City, le quadruple champion consécutif d’Angleterre, et son dauphin Arsenal piétinent, spectateurs de la domination d’un Liverpool euphorique. Habitués à préparer leurs joueurs pour arriver en forme lors des phases finales de Champions League, le Real et le PSG luttent pour éviter l’élimination dès la phase initiale de la nouvelle formule de la coupe aux grandes oreilles.

En Angleterre, saluons les succès du Merseysound sous la baguette du retrouvé Virgil van Dijk, à la tête d’une formation équilibrée, dynamique ; un collectif généreux réunissant des talents complémentaires. Sans solistes ni premiers violons. Regrettons le coup de mou des cityzens, longtemps privés, entre autres, de leurs deux grands maîtres à jouer De Bruyne et Rodri ; et dont l’effectif accuse le poids d’années de combats victorieux.

En Espagne, le début de saison prometteur du FC Barcelone tient au come back du grand Lewandowski, à l’éclosion de Rafinha, à l’affirmation d’un Lamal d’une autre planète. Et à la richesse de son vivier de La Masia. De quoi consoler les culés de la situation financière préoccupante de leur équipe de cœur. Au sein de l’institution catalane, collectif n’est pas un vain mot. Et pour leurs débuts, Dani Olmo et Casado ont illuminé le jeu bien huilé des Blaugranas. Leur attaque enchante. Et l’aficion rêve d’une infirmerie désemplie, où tous les joueurs retrouvent le rythme de la compétition et la forme.

Du côté de Chamartín, la superbe a laissé la place aux critiques sur l’inefficience d’un Kylian Mbappé méconnaissable. La déception est à la mesure des attentes créées par sa spectaculaire présentation aux 80 000 spectateurs enthousiastes du stade Bernabéu. Au-delà des blessures frappant les merengue, le trou d’air du plus grand club du monde nous invite à la réflexion.

Attaque poussive

L’équipe madrilène est laborieuse dans ses tentatives pour créer des brèches au sein du mur défensif de visiteurs qui n’ont plus la peur au ventre lorsqu’ils foulent la pelouse du Bernabéu. Le Real peine à compenser l’absence de ses joueurs blessés, la perte de son maître à jouer Toni Kroos, avec celles de Nacho et Joselu. Faute d’un véritable fond de jeu collectif, les attaquants, en infériorité numérique par rapport aux défenseurs adverses regroupés, recherchent la solution à leur inefficacité dans le recours à des initiatives individuelles, en attente des fulgurances de Vinicius. Où est passé le Kylian explosif de 2018 ? Esseulé au cœur de défenses encombrées, dans un rôle d’avant-centre en pointe qu’il ne maîtrise pas et n’affectionne guère. Très loin du joueur que tout le monde nous enviait. Il se débat sur le front de l’attaque, évite de rester dos au but, emprisonné dans la nasse adverse. Quand il se retourne balle au pied, il est ceinturé et déséquilibré. Pas de quoi faire valoir sa vitesse de course et d’exécution. Impatient d’honorer son statut, il tombe régulièrement dans le piège du hors-jeu. Comme un débutant. Même en occupant le poste vacant de Vini indisponible, il s’avère moins tranchant, se révèle emprunté, moins juste dans ses initiatives, étonnamment maladroit. Et toujours rétif à l’effort, notamment du pressing. De quoi irriter partenaires, public et médias.

Dans sa traversée du désert, il bénéficie heureusement du soutien sans faille de la Maison Blanche et des médias qui lui sont proches. Certes, un flop de Kylian serait un inacceptable échec de Florentino Pérez qui l’a imposé malgré les deux faux bonds du prodige mal vécus par les socios. Ce président qui, pour l’histoire, voudra sortir par la puerta grande. Et l’enfant de Bondy reste une marque mondiale très recherchée. Il a fait vendre beaucoup de maillots au club ; ne manque pas une occasion de rappeler son amour de l’Institution ; fait preuve de bon esprit ; et il s’exprime remarquablement dans la langue de Cervantes. Mais Kylian a été embauché au Real pour d’autres vertus ! Et les prestations de ses coéquipiers de l’attaque ne sont pas convaincantes. Même les dribbles déséquilibrants d’un Vini, sauveur attitré de la Casa Blanca, se traduisent fréquemment en pertes de balle. Rodrigo s’efforce de limiter ses raids transversaux, à la recherche d’un appui de son compagnon de la seleçao ; avec des résultats alternés. Brahim Díaz et Arda Güler, quand ils entrent en jeu, ne peuvent corriger qu’épisodiquement ces insuffisances. Et le fougueux Endrick se morfond sur le banc de touche.

Entrejeu résigné

La faiblesse du secteur offensif du Real Madrid provient d’un milieu de terrain qui n’est plus conquérant. Les demis se contentent de porter le ballon. Sans construction d’un jeu collectif. Tchouaméni et Valverde, joueurs à vocation plutôt défensive, manquent de conviction dans les duels. Utilisé à contre-emploi, Jude Bellingham, l’an passé si souvent décisif dans ses incursions en attaque, s’épuise à lutter, au four et au moulin, pour compenser le manque de mobilité de ses partenaires. Moins en réussite, il demeure impliqué. Et quand il n’évolue pas trop en retrait, il demeure capable d’inspiration avant d’être exténué par ses courses répétées dans le vide. Ceballos semble se contenter de piges ternes, les jours de relâche de l’Anglais. Le manque d’agressivité des joueurs de l’entrejeu prive les arrières d’un premier rideau précieux pour la récupération du ballon ; non contrebalancé par les chevauchées épisodiques de Valverde. Faute de virtuosité technique, de vision du jeu et de créativité, les midfields de la Casa Blanca ne parviennent pas à approvisionner leurs attaquants en occasions de but ; ou en situations favorables pour contourner l’autobus qui les attend au détour des stations de la Liga. Arda Güler et Brahim Díaz paraissent capables de créer du danger dans la défense adverse. Mais ils jouent peu. Quant à l’admirable Modric, bientôt quadragénaire, il court après ses jambes de vingt ans. Seul Camavinga, qui doit encore dominer son agressivité, possède la maîtrise technique et la vista pour soulager ses défenseurs et orienter la construction du jeu.

Defensa fatal

Rempart d’une arrière-garde trop basse située sur le terrain et assistée d’un premier rideau fonctionnant en mode alternatif, Courtois limite les dégâts. Devant l’excellent portier belge, ses coéquipiers défendent sur le reculoir. Les centraux manquent de continuité. En retard au marquage, régulièrement pris de vitesse, ils sont passifs dans le jeu aérien. Ligaments croisés obligent, Militao, Alaba, Carvajal sont indisponibles. Jusqu’au guerrier Rüdiger qui manque de tranchant ! Et Nacho, fidèle soldat et homme à tout faire, n’est plus là… Vázquez n’est pas une assurance tous risques en défense. Quant à Mendy, sa contribution à l’effort offensif des merengue se limite à de la figuration. L’équipe manque de deux latéraux qui défendent et qui se meuvent en pistons.

Haut les cœurs !

Plus que les contre-performances individuelles, c’est l’absence de fond de jeu cohérent le problème d’un Real Madrid qui semble sans âme, sans meneur de jeu. Sans véritable leader. Une faillite collective. Dans une institution dont la mission et la qualité des acteurs impliquent de remporter le championnat espagnol : tela marinera ! Équipe dominante dans la plupart des matchs de Liga, le Real se doit de jouer plus haut pour raccourcir les distances entre défenseurs et attaquants. Et cesser de défendre en reculant. Afin que les milieux se joignent aisément aux hommes de pointe ; que les latéraux jouent leur rôle de pistons en plongeant aux ailes pour créer surnombres et décalages. Le bloc équipe des merengue, insuffisamment compact, engendre une infériorité numérique des demis offensifs et des attaquants de pointe face aux défenseurs adverses. Contraints de renoncer à la possession, ils abandonnent l’initiative aux rivaux. Et les distances entre les lignes imposent aux joueurs la répétition de longues courses éreintantes libérant des espaces où les adversaires peuvent s’engouffrer. Aux dépens de la construction du jeu. Voilà comment le Real laisse trop de points sur la route de la Liga, quand il domine sans concrétiser. Les récents succès en coupe d’Europe avec une défense basse ont été possibles grâce aux passes chirurgicales de Kroos et aux déroutants extérieurs du droit d’un magnifique (plus jeune) Modric. L’option de défendre bas est intéressante si elle est accompagnée, en contre-attaques, de la projection de milieux et arrières dans le camp adverse ; qui provoquent leurs vis-à-vis afin de créer le danger, à la faveur des espaces découverts et de l’effet de surprise dans l’équipe rivale.

Jeu sans ballon

À défaut d’un soutien permanent de plusieurs partenaires en appui, le porteur du ballon ne peut choisir la meilleure option avant de déclencher la passe. Celle qui garantit la possession. Grâce à des joueurs en perpétuel mouvement. On en est loin, avec des merengue statiques. Le jeu de soutien fit les beaux jours du grand Stade de Reims d’Albert Batteux, puis de l’Anderlecht de Sinibaldi. Il est à la base de la formation dispensée à La Masia. Et fait la force du Barça comme des sélections masculine et féminine de la Roja. Une philosophie assimilée par tous, aisément appliquée par les remplaçants et les nouveaux joueurs, qui facilite la continuité des performances.

Défense, quand tu nous tiens…

Formé comme joueur à l’école de Nils Liedholm, « il Barone », gentleman suédois et chantre du jeu offensif, Carlo Ancelotti est attaché à la qualité technique d’une relance propre et à la possession générée par un milieu de terrain dominateur. Sous la férule du maestro Arrigo Sacchi, Carlo a affirmé son penchant pour le football d’attaque. À une époque où le catenaccio régnait sur le calcio ; où les équipes restaient prudemment regroupées dans leur moitié de terrain, en attente d’une faute de l’adversaire ; du temps de la victoire à 2 points. Et comme entraîneur, Carletto n’a pas oublié une finale de coupe d’Europe perdue alors que son Milan AC menait 3 à 0 à la mi-temps.

The show must go on

La retraite de Kroos et la semi-retraite de Modric devraient sonner l’heure d’une évolution tactique du Real Madrid vers un système de jeu plus hardi, adapté à une évolution de l’effectif de la Maison Blanche ; et susceptible de satisfaire le public et les joueurs. En recrutant dès juin 2025 un playmaker évoluant devant la défense, comme Rodri. Assisté de Camavinga ; et de Bellingham en appui des attaquants. Avec la participation de deux latéraux pistons comme Davies et Alexander-Arnold. L’alternative à Rodri serait le convoité Florian Wirtz, placé proche des joueurs de pointe et devant Bellingham. Le recrutement du crack allemand pourrait être facilité par le rapatriement de Xabi Alonso, son coach au Bayer Leverkusen. Une nouvelle orientation stratégique en droite ligne de la mission du Real Madrid universel : accumuler les triomphes en offrant du spectacle à ses socios, aux madridistas et aux amoureux du beau football dans le monde entier. En mettant fin à l’épisode des intermittents du spectacle. Qui mieux que Carletto au gant de velours pour mener à bien l’actuelle saison de transition ? Car au Real Madrid, malgré un faux départ en Liga, le renoncement n’est pas de mise : la saison 2024-2025 doit s’avérer porteuse d’ultérieurs succès.