L'étoile Yashin

Bien avant l'ère des galactiques madrilènes, au firmament du football mondial brillait déjà l'étoile Yashin ; ce nom donné à un nouvel astéroïde découvert par une astronome soviétique de renom, fascinée par le plus grand gardien de but de l'histoire du ballon rond, Lev Yashin.
L'homme des records
Dans les annales du football, Yashin occupe une place incomparable : il est le seul gardien sacré Ballon d'Or ; et en devançant des légendes comme Gianni Rivera et Jimmy Greaves ! Un hommage exceptionnel honorant un sportif du Bloc Est en pleine guerre froide. Yashin est le premier « homme en noir » (la couleur des anciennes tenues vestimentaires des ultimes remparts des équipes) décoré de l'ordre de Lénine, la plus haute distinction russe ; le premier qui a mené avec succès une carrière dans deux sports différents : promis à un brillant avenir dans le hockey, le footballeur Lev Yashin avait troqué les crampons pour des patins avec lesquels il avait remporté la coupe d'URSS, puis avait décliné sa sélection aux championnats du monde, préférant les pelouses du foot aux patinoires ; le premier à avoir son effigie sur une pièce de monnaie ; le goalkeeper qui encaissait un but tous les trois matchs et arrêtait 3 pénaltys sur 5 ! Yashin en a paré plus de 150 : « le tireur doit être nerveux, pas moi. Car lui doit décider où frapper ». Il expliquait que pour anticiper le trajet du ballon, il ne regardait jamais le cuir mais fixait son attention sur le regard et la posture du tireur. Il a été nommé « meilleur gardien du siècle » en 1999. Lev a permis à son club, le Dynamo de Moscou, de conquérir 5 titres et 3 coupes nationales et à l'URSS de remporter l'or olympique en 56 et le championnat d'Europe en 60.
Gardien parfait et précurseur
Athlète au physique exceptionnel et aux traits délicats, Lev Yashin mesurait 1,90 m, une taille rare dans le foot de ces années, avec une envergure proche des deux mètres qui lui valait le surnom d'« Araignée Noire » et lui donnait l'impression d'avoir plusieurs bras intimidant ses rivaux. Doté de réflexes incroyables, il pouvait capturer d'une seule de ses immenses mains le cuir qu'il semblait attirer, sous le regard inquiet de ses opposants. Et il n'hésitait pas à boxer les balles difficiles à maîtriser. Grâce à ses réflexes et à la rapidité d'exécution de ses mouvements, il excellait sur sa ligne comme dans la surface de réparation, rompu à réduire les angles et à intercepter les centres aériens. Doté de jambes rapides et puissantes, excellent technicien, Yashin utilisait remarquablement ses pieds. Entraîné à bien contrôler le ballon et à le passer au pied avec précision, il a été le premier gardien de l'histoire qui s'aventurait volontiers hors de ses dix-huit mètres pour contrer les passes adverses en profondeur, se comportant comme un libero supplémentaire. Le premier qui relançait la balle immédiatement après chacun de ses arrêts, afin de favoriser les contre-attaques rapides de son équipe. Et sa souplesse lui permettait d'être également très performant sur les balles à terre. Compétiteur dans l'âme, fougueux et loyal, Lev demeurait concentré sur toute la durée des matchs. Son extraordinaire charisme garantissait la confiance et la sûreté de ses partenaires... et hypnotisait ses adversaires. Au point que certains d'entre eux ont pu confesser avoir parfois tiré là où lui le voulait ! Grâce à toutes ses qualités, le talentueux Lev Yashin reste le plus grand gardien de but moderne. Un symbole de quête de perfection et un précurseur tactique qui a redéfini les standards de son poste, transcendant le rôle traditionnel de portier pour devenir une légende. L'entraînement et le comportement des goalkeepers actuels reposent encore sur l'application des principes révélés à la planète foot par cet avant-gardiste. Il aura marqué le football d'une trace indélébile en échangeant sa casquette d'ouvrier en usine pour celle de héros national dans les cages de football, au point de devenir l'égal en popularité du fameux cosmonaute Gagarine : « l'athlète russe du XXe siècle ». Il a laissé son nom au trophée récompensant le meilleur gardien du monde. Et en Russie, terre d'école d'autres top goalkeepers comme Dasaev et Akinfeev, les portiers qui totalisent 100 clean sheets (ces rencontres sans encaisser de but) sont admis désormais dans le « club Yashin ».
Humble dans la gloire
Vrai, certains jours où Lev Yashin était inspiré, sa cage paraissait inviolable. Le secret de cette étoile de l'Est restée humble malgré la gloire ? Avant chaque match, il buvait un café fort et fumait une cigarette « pour se concentrer ». Après avoir pêché le matin ! La star aura été admirée, respectée… et longtemps crainte sur l'étendue de la planète foot ! Au point de perturber le sommeil de plus d'un rival à la veille d'affronter l'Araignée noire. Son jubilé en 71 a rassemblé plus de 10 000 spectateurs à Moscou, avec des célébrités venues du monde entier lui rendre hommage. Pourtant, le triomphateur n'a pas été épargné par les tragédies personnelles : dès cinq ans, depuis la mort de sa maman, il a vécu une enfance pauvre dans un faubourg moscovite, en appartement partagé quelque temps avec son oncle et sa tante ; puis a abandonné l'école à 12 ans pour aider son père ouvrier, en travaillant dans une usine d'armement. Cette période difficile lui a inculqué une discipline et une résilience qui l'ont aidé à devenir légendaire. En 86, il a été amputé d'une jambe, des suites d'une thrombophlébite. Mais il a continué à représenter le football jusqu'à son décès en 90. À force de courage et de volonté, Lev Yashin aura surmonté le déterminisme social en forçant les barrages qui auraient dû l'astreindre à l'anonymat. À la mort de celui dont personne n'avait trouvé à redire lors de l'attribution de son nom à un astéroïde, il s'est dit que certains scrutèrent le ciel à la recherche de cette « inaccessible étoile » chantée par Brel. On peut imaginer le culte qu'entourerait aujourd'hui une telle superstar, sous le feu de nos médias. Humble dans la gloire, il répétait qu'il n'était pas un héros et que sans une bonne défense, il n'aurait jamais été aussi performant. Ce mélange de talent, de charisme et de simplicité ont fait de Lev Yashin un des gardiens les plus iconiques de l'histoire du football.