Vive la Super League !

Historique

Depuis 1990, le projet de Super League Européenne de football fait l'objet de discussions. La proposition initiale concernant 12 clubs fondateurs prévoit un lancement en avril 2021. Les variantes élargies évoquées à partir de 2023 prennent en compte un objectif clair : la garantie que les meilleurs rencontrent les meilleurs. Ces différentes versions sont rejetées systématiquement par la FIFA et ses 6 confédérations continentales, dont l'UEFA. Toutes dénoncent une « ligue fermée » entre clubs comptant parmi les plus puissants d'Europe, motivés par leur volonté de prise du pouvoir des instances dirigeantes du ballon rond, qui gèrent la lucrative Champions League. Le plan porté par les présidents du Real Madrid, Florentino Pérez et de la Juventus de Turin, Andrea Agnelli, déclenche une levée de boucliers à travers le continent. Des dirigeants aux entraîneurs et supporters, jusqu'aux gouvernements. En particulier de la part de la Premier League anglaise soucieuse de préserver la domination financière de ses clubs sur le football européen. Suspendu par ses promoteurs, le projet doit être « remodelé ». L'UEFA dessine alors des brouillons de réforme de la Champions League impliquant de 30 à 32 clubs et davantage. Et menace de suspension d'équipe nationale les participants à la formation dissidente. Sous la pression populaire, la plupart des clubs postulants se retirent du projet. L'UEFA officialise bientôt la guerre mondiale du football en déclarant que tout club ou joueur adhérant à la Super League sera banni d'équipe nationale et de toute compétition organisée par la FIFA ! Les Ligues européennes et la FIFpro (fédération internationale des associations de footballeurs professionnels) entreprennent une action contre la FIFA, contestant son monopole en violation de la loi européenne, ainsi que le lancement d'une large Ligue Européenne des Clubs qui, en augmentant le nombre de rencontres, met en danger la santé des joueurs. La Cour Européenne de Justice déclare qu'en menaçant les 12 clubs du projet de lancement de la Super League Européenne en 2021, l'UEFA et la FIFA ont agi contre la loi. On prête aux promoteurs de la Super League l'intention de poursuivre en justice l'UEFA, en réclamant 3,5 milliards d'euros de dommages-intérêts pour le retard au lancement prévu de leur projet, causé par les illégales menaces de sanctions. Afin d'empêcher la Super League de voir le jour en 2025-2026, l'UEFA s'appuie sur l'ECA, syndicat très proche des hautes instances du ballon rond, qui regroupe une majorité des grands clubs du continent ; et dont le président est l'incontournable Nasser el Khelaïfi, l'homme aux multiples casquettes, ce sémillant stratège parisien du carnet de chèques.

Le veau d'or

Les beaux principes avancés par les partisans du projet comme par ses opposants tendent à masquer une motivation commune : la jouissance des énormes revenus financiers de la majeure compétition européenne des clubs. L'hyper médiatisation du foot a engendré, en particulier, une explosion des droits TV. Au point que la FIFA a communiqué avoir gagné 7,5 milliards de dollars pour la coupe du monde au Qatar* ; et que ses projections pour 2023-2026 sont d'environ 11 milliards de dollars de revenus totaux**. Pour l'UEFA, les revenus annuels totaux de la Champions League 2022-2023 tournent autour de 3,5 à 3,6 milliards d'euros***. Plus que jamais, le veau d'or de Gounod, symbole de cupidité universelle, est « toujours debout » ! Car le football est devenu un terrain fertile pour les spéculations financières.

Beaux discours

L'UEFA, alignée sur le discours de la FIFA, a beau jeu de se présenter comme le rempart contre l'élitisme du projet de Super League ; le défenseur de tous les clubs, Robin des Bois au secours de ses humbles affiliés. Le sauveur du rêve des petites équipes : être confronté aux grandes. Une dialectique allant droit au cœur des supporters et convenant aux nombreux gravitants autour de l'univers du foot, notamment aux décideurs politiques. Mais qui ne recueille pas l'adhésion des footballeurs des grandes équipes : eux pâtissent de l'inflation de matchs imposée par la nouvelle Nations League et le récent format étendu des 3 compétitions de clubs européens ; auxquelles s'ajoutera en juin prochain le mondial des clubs, dans la foulée des compétitions nationales et internationales. Saturés de football et privés du repos physiologiquement nécessaire pour recharger les batteries, les joueurs des principales équipes verront menacée demain leur intégrité physique, déjà fragilisée par la recrudescence de rencontres d'un calendrier surchargé. De quoi accélérer la multiplication des blessures. Ce, à l'encontre de l'équité sportive : les meilleurs footballeurs, soumis à une succession de rencontres exigeantes, seront confrontés à davantage d'adversaires plus frais, motivés par l'opportunité de challenges attractifs. Attention : sur les rectangles verts des arènes du football international, les acteurs du spectacle ne doivent pas devenir nos gladiateurs ! Convenons-en, amis de Tiro Libre, en mettant en avant des arguments éthiques, la FIFA ne manque pas de cynisme : ses détracteurs affirment qu'elle aurait truqué les votes en modifiant les règles d'appels d'offres pour l'attribution des récentes coupes du monde. Cette FIFA qui a démontré un art consumé du recours aux compromissions et à la corruption. Avec un profond mépris du respect des lois du travail ; de la vie humaine des milliers de travailleurs migrants sacrifiés sur les chantiers de construction des infrastructures colossales nécessaires à l'organisation d'épreuves sportives sous la canicule du Moyen-Orient ; et de la préservation de l'environnement. Nul n'est dupe : ce que défend d'arrache-pied l'UEFA, c'est sa main mise sur le football européen, garante de l'opulence de l'institution et de l'enrichissement de certains de ses représentants, avides du veau d'or. Quel crédit accorder à leurs beaux discours ?

Légitime défense

Les promoteurs du projet de Super League veulent récupérer la manne qui inonde les coffres suisses de l'UEFA. Pour assurer, précisent-ils, la survie des grands clubs menacés par les appétits des divers oligarchies, fonds d'investissements et autocraties friandes de sportwashing ; et à la recherche de plus values à réaliser par l'acquisition et le développement d'institutions à phagocyter. Une défense légitime car les clubs assurent le travail de formation des joueurs, l'engagement personnel et financier requis dans le sport de haut niveau, avec tous ses risques d'aléas. Or, les robustes revenus du football spectacle vont essentiellement aux instances qui se contentent de la gestion des compétitions. Quand une star du foot achetée une fortune et grassement rémunérée par son club se blesse en match international, un préjudice sportif et financier majeur frappe son club ; et n'altère en rien les revenus de l'instance organisatrice. Autant dire que lorsque l'UEFA et la FIFA, promoteurs de la compétition, tentent de nous faire gober leur morale (à deux balles, si l'on peut dire…), c'est plus fort que de jouer au bouchon !
Le marché du football explose, avec la croissance des besoins financiers des clubs accompagnée d'une hausse juteuse des droits télévisés et des contrats publicitaires. Comment le Barça, dont la dette totale annoncée par son président Joan Laporta en 2021 était d'environ 1,35 milliard d'euros**** et dont le statut associatif exclue les subventions externes, pourrait-il résister au chant des sirènes saoudiennes ? Au point que selon la rumeur, quel que soit le degré d'authenticité de ce chiffre, les Qataris du PSG auraient proposé jusqu'à 400 millions d'euros pour recruter Lamine Lamal ! Notre foot marche sur la tête.

Football de qualité

À Tiro Libre, nous considérons inacceptable de laisser le dirigisme des états et des institutions dominantes étouffer les libertés et les initiatives individuelles. Et notre priorité est la recherche d'un football de qualité : du beau jeu, offensif, un spectacle dispensé dans un bon esprit. En un monde où fleurit la violence, où les démagogues et populistes de tout poil prônent le nivellement par le bas et décrédibilisent la culture des élites, admirons le talent et le travail. Réjouissons-nous de voir ouvertes aux très bons élèves les portes de l'Institut Polytechnique ; comme celles du Bolchoï, de la Scala de Milan ou du Philharmonique de Berlin à des artistes spécialement talentueux. Envoyer les cadors du ballon rond exercer leurs dons à Guingamp ou à Auxerre ne va pas dans ce sens. La renaissance de Notre-Dame de Paris, rendue possible grâce à l'œuvre de Compagnons du Tour de France et de divers authentiques experts (non pas des « experts BFM » !) nous montre l'exemple. Le football, pour s'élever au rang d'art, a besoin du maintien de lieux qui invitent à la pratique de l'excellence par des acteurs d'indiscutable compétence. Pour les amoureux du foot, face au monopole des hautes instances du ballon rond, la légitime défense des partisans du projet de Super League ne manque pas de sens.

* AP News 20/11/2022, The Guardian
** FIFA.com, rapports financiers REUTERS 16/06/2023
*** rapports financiers UEFA, analyzes KPMG Football Benchmark
**** BBC 16/08/2021, The Guardian 16/08/2021

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